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Procès de Brétigny : le spectre de « l’angoisse de mort imminente »

By 8 juin 2022novembre 28th, 2023Actualités
Accident ferroviaire

Photo : PxFuel

Les avocats des 215 parties civiles se succèdent et leurs demandes d’indemnisation se ressemblent, pouvant aller jusqu’à plus de 100 000 euros par victime

Comment chiffrer les conséquences d’une catastrophe ferroviaire sur des vies ? Au procès du déraillement de Brétigny, les parties civiles ont demandé mercredi l’indemnisation de tous leurs préjudices, « d’angoisse de mort imminente », « d’inquiétude » ou encore « d’affection ».

« Rien ne vaut la vie arrachée de Régine J. », tranche à la barre l’avocat de sa fille et de son mari, Me Louis Cailliez. Sa cliente est décédée des suites de ses blessures après l’accident de l’Intercités Paris-Limoges le 12 juillet 2013, en gare de Brétigny-sur-Orge (Essonne).

Mais au moment de plaider les dommages et intérêts, face à « l’irréparable », l’avocat rappelle une formule : « la justice, c’est l’injustice équitablement partagée ».

« Troubles et traumatismes »

« Je vous demande de ne pas avoir la main tremblante au moment de chiffrer les quantums » des indemnisations, lance-t-il à la présidente du tribunal correctionnel d’Évry, qui juge la SNCF, SNCF Réseau et un ancien cadre cheminot pour « homicides involontaires » et « blessures involontaires ».
Pour Régine J., hospitalisée deux semaines avant de mourir, l’avocat relève un préjudice « d’angoisse de mort imminente », un autre de « souffrances endurées » et un préjudice « exceptionnel lié à la catastrophe », qui a fait 7 morts et des centaines de blessés psychologiques et physiques.

Pour l’époux de la victime, Serge, il évoque un « préjudice d’affection monumental », caractérisé par des troubles et des traumatismes, et « un préjudice de déficit fonctionnel temporaire », qui se traduit par une incapacité à réaliser des actions de la vie courante.

Les avocats se succèdent et leurs demandes d’indemnisation se ressemblent, pouvant aller jusqu’à plus de 100 000 euros par victime.

« On ne pouvait pas prévoir »

La SNCF, qui impute le déraillement au défaut de structure d’une éclisse – une agrafe reliant deux rails – alors que les magistrats instructeurs lui reprochent des défaillances de maintenance, a versé aux victimes des indemnités qu’elle évalue à 12 millions d’euros.

La famille de Morgane B., décédée à bord du train, a refusé toute « proposition » d’argent, assure son avocat Pascal Dubois. Ce n’était pas une question « de quantum », ajoute-t-il, cette mère endeuillée ne voulait pas que la SNCF « lui donne de l’argent » mais qu’elle soit « condamnée à le lui donner ».

Les proches de Morgane font partie des 215 parties civiles enregistrées, à ce jour, par le tribunal.

Leur avocat insiste à la barre sur l’un de leurs préjudices : celui d’inquiétude, qu’il évalue à 10 000 euros pour chaque membre de la famille. Le père « a passé des heures et des heures sans savoir si sa fille était morte », pour finalement l’apprendre de la bouche d’une journaliste, rappelle Me Dubois.

Sophie (prénom modifié), une victime blessée, avait elle bien accepté « quelques dizaines de milliers d’euros » de la SNCF pour ses préjudices physiques et psychologiques et le « préjudice exceptionnel lié à la catastrophe ». Elle demande aujourd’hui 50 000 euros supplémentaires. À l’époque, « on ne pouvait pas prévoir » la réalité des besoins de Sophie, souligne son avocate, Me Sabrina Lathus. Sa cliente avait prévu « huit mois de séances de thérapie » au moment du versement de la SNCF, détaille-t-elle, mais « neuf ans après » l’accident « elle est toujours suivie à quinzaine, voire hebdomadairement ». Un sérieux surcoût financier.

Sophie avait 20 ans au moment de Brétigny, 29 ans aujourd’hui. Elle a souffert de crises d’angoisse et « surtout de boulimie », selon son avocate. « Elle a doublé son poids, passant de 75 à 150 kg, ce qui a nécessité une intervention chirurgicale ».

Une demande de l’avocate surprend la présidente du tribunal d’Évry, Cécile Louis-Loyant. « Vous êtes la première à nous demander une indemnisation pour les bagages », relève-t-elle. « Oui », reconnaît Me Lathus. Après toutes « ses années à essayer de survivre » et ses « blessures psychiques incommensurables », plaide l’avocate, sa cliente a voulu que le tribunal sache qu’elle « n’avait pas pu récupérer sa valise ».

Source Sud Ouest