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Affaire Théo : Un symbole des violences policières devant la justice

By 8 janvier 2024février 23rd, 2024Actualités
Thibault de Montbrial et Louis Cailliez

PROCÈS Trois policiers impliqués dans l’interpellation violente de Théo Luhaka, en 2017 à Aulnay-sous-Bois, sont jugés à partir de mardi devant la cour d’assises de Seine-Saint-Denis

La scène a été captée par les caméras de surveillance de la ville. Il n’est pas encore 17 heures, ce 2 février 2017, lorsqu’une patrouille de la BST d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) se décide à contrôler plusieurs jeunes se trouvant à proximité d’un point de deal, dans le quartier de la Rose-des-Vents. L’un d’eux, peu enclin à se laisser fouiller par les fonctionnaires, hausse le ton. L’intervention dégénère. Les policiers veulent l’interpeller, mais un jeune homme tente de s’interposer. Théodore Luhaka, 22 ans, assène un coup de poing au visage à un gardien de la paix, Marc-Antoine C.. Les collègues de cet agent tentent de maîtriser le jeune homme, qui leur résiste. Ce dernier est roué de coups avec une matraque. Une fois menotté au sol, un policier le gifle, un autre lui donne un coup de poing dans le ventre, le dernier l’asperge de gaz lacrymogène. « Théo » est transporté au commissariat, où il fait un malaise.

Visite du président de la République

Les policiers constatent des traces de sang au niveau des fesses du jeune homme, qui a été grièvement blessé par un coup de bâton télescopique porté par Marc-Antoine C.. Il subira par la suite plusieurs interventions chirurgicales mais restera handicapé à vie. Huit minutes de violence, sept ans d’attente, et un procès très attendu. Trois policiers sont donc jugés à compter de ce mardi devant la cour d’assises de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, pour « violences volontaires » avec plusieurs circonstances aggravantes. Le principal accusé, Marc-Antoine C., 34 ans, comparaît pour « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente chez la victime », ce qui explique sa présence devant une cour d’assises et non un tribunal correctionnel. En revanche, les poursuites pour viol ont été écartées par la juge d’instruction en charge des investigations, faute d’éléments suffisants.

L’affaire Théo, un symbole

L’affaire avait soulevé, à l’époque, une vague d’indignation et était devenue un symbole des violences policières. Deux autres, tout aussi médiatiques, suivront quelques années plus tard : d’abord la mort de Cédric Chouviat, un livreur à scooter plaqué au sol pendant un contrôle de police, victime d’un malaise cardiaque, en janvier 2020. Et le passage à tabac de Michel Zecler dans son studio de musique à Paris, en novembre 2020. Sans compter les nombreuses violences commises par les forces de l’ordre en marge des manifestations des « gilets jaunes », ou plus récemment lors de la réforme des retraites. Théodore avait reçu, cinq jours après les faits, la visite à l’hôpital du président de la République, François Hollande. Un déplacement que les forces de l’ordre ont interprété comme une condamnation avant l’heure de leurs collègues mis en cause. D’autant que ces derniers, tant devant les enquêteurs de l’IGPN – la police des polices – que devant le juge d’instruction, n’ont cessé d’affirmer qu’ils n’avaient pas eu l’intention de le blesser grièvement. Marc-Antoine C. reconnaît bien lui avoir porté un geste d’estoc, une technique enseignée en école de police ayant pour but de déséquilibrer et d’amener au sol une personne qui résiste à une interpellation. Mais il nie avoir voulu le sodomiser. Les experts sollicités par la justice vont dans ce sens et estiment que l’accusé n’avait pas la possibilité de viser avec précision la région péri-anale de Théo qui se débattait.

Manquements

Les trois policiers mis en cause décrivent tous une intervention difficile et affirment que l’usage de la force était proportionné à la situation. Pourtant, quelques mois après les faits, une enquête administrative, confiée à la délégation de l’IGPN de Lyon, soulignait l’existence de manquements commis par deux de ces fonctionnaires et préconisait un renvoi devant le conseil de discipline. La juge d’instruction, dans son ordonnance de mise en accusation consultée par 20 Minutes, note également que les policiers ont porté des coups au jeune homme alors qu’il « cesse de se débattre », « bloqué contre le muret », ou « quand celui-ci est au sol » et « menotté ». Pour ces raisons, la magistrate a requis leur renvoi devant la cour d’assises. Le principal accusé encourt 15 ans d’emprisonnement.

« Mon client n’est pas coupable du crime dont on l’accuse et nous plaiderons l’acquittement », nous explique Me Louis Cailliez, l’avocat de Marc-Antoine C.. « La blessure occasionnée est un accident dramatique absolument involontaire, car mon client n’a eu qu’un seul et unique but en donnant ce coup : aider son collègue piétiné au sol et permettre le menottage de [Théodore] Luhaka en lui faisant perdre ses appuis par l’application d’un point de douleur sur sa cuisse », poursuit-il. Son client « est résolu, combatif et déterminé à rétablir la vérité factuelle de ce dossier et laver son honneur en justice après avoir été injustement cloué au pilori pendant des années ».

Contacté, l’avocat de Théodore Luhaka, Me Antoine Vey, n’a pas répondu aux sollicitations de 20 Minutes.