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Assassinat de Samuel Paty : des peines décevantes pour les avocats de la famille du professeur

By 8 décembre 2023février 23rd, 2024Actualités
Louis Cailliez avocat Mickaelle Paty

Le tribunal pour enfants qui a rendu son verdict ce vendredi a provoqué la déception des parties civiles.

Ils sont six. Une fille et cinq garçons, âgés de 16 à 18 ans aujourd’hui. Tous anciens élèves au collège du Bois-d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine. Depuis le 12 novembre, ils comparaissaient à huis clos devant le tribunal des mineurs pour leur implication présumée dans l’attentat islamiste ayant coûté la vie au professeur Samuel Paty, le 16 octobre 2020, perpétré par le Tchétchène Abdoullakh Anzorov.

Vendredi soir, le tribunal a rendu son verdict en séance publique après de longues heures de délibéré. Une attente liée à la nécessité, s’agissant de mineurs, de rédiger des motivations particulièrement pédagogiques. Les six prévenus qui tous comparaissaient libres sont arrivés à l’audience dissimulés sous la capuche de leur hoodie, de leur parka épaisse ou de grosses écharpes. Dans le public, les familles sont venues en masse les soutenir. Cela tranchait avec les bancs si clairsemés de la partie civile. Sur grand écran, est même apparu Brahim Chnina, incarcéré pour terrorisme et qui sera jugé dans un an. En tant que père, il a le droit d’assister au délibéré.

En effet, Sa fille, Z. qui encourait 2 ans et demi de prison pour dénonciation calomnieuse ayant conduit au drame, se voit infliger une peine de 18 mois de sursis probatoire au regard de la gravité des faits et de sa personnalité ainsi que d’une mesure éducative de trois ans, avec exécution provisoire, une peine supérieure aux réquisitions. Âgée de 13 ans à l’époque, elle avait affirmé que Samuel Paty avait demandé à ses élèves de religion musulmane de quitter la classe avant de montrer les caricatures de Mahomet. Or elle n’était même pas en cours de ce jour-là. C’est sur la foi de ses déclarations que son père avait harcelé le professeur d’histoire sur les réseaux sociaux. Malgré une personnalité clivante, très peu empathique aux dires des enquêteurs, – si ce n’est envers son père qu’elle a toujours considéré comme une victime – il n’avait été requis contre elle qu’une peine de sursis simple alors que ses deux avocats avaient plaidé la relaxe.

Un seul des cinq jeunes garçons, âgés de 14 et 15 ans au moment des faits a écopé d’une peine de deux ans de prison dont 6 mois ferme sous bracelet électronique, ainsi qu’une mesure éducative de trois ans, supérieure aux réquisitions. Il lui est reproché d’avoir «révélé le trajet de Samuel Paty et son aspect physique à Abdoullakh Anzorov. Vous êtes restés plusieurs heures aux côtés de l’assaillant, vous l’avez dissimulé, procédé à des surveillances et désigné», Samuel Paty a rappelé le tribunal à celui qui a aussi touché et partagé l’argent avec les quatre autres mineurs. Ces derniers ont été principalement condamnés pour avoir surveillé et désigné Samuel Paty. Ils ont été condamnés de 14 à 20 mois de prison avec sursis probatoire de trois ans et de mesures éducatives. Des peines proches des réquisitions. Ces sursis sont assortis d’obligation de formation et d’enseignement, de soin médicaux et psychologiques et de mesures d’assistance et de surveillance par la protection judiciaire de la jeunesse.

Les parties civiles s’indignent

De quoi faire bondir les avocats des parties civiles à commencer par Francis Szpiner : «Le fils de Samuel Paty est consterné par la décision rendue, même devant un tribunal pour enfants. Sans cette élève qui a menti et qui a continué à longuement mentir, Samuel Paty ne serait pas mort. Sans ces élèves qui l’ont guetté, ont montré sa photo, sont restés deux heures avec le terroriste et l’ont désigné, Samuel Paty ne serait pas mort. Je laisse apprécier à chacun la décision du tribunal et l’on peut s’étonner que même le ministère public ne soit pas allé au maximum de la peine, lui qui porte la voix de la République. Un seul sort avec six mois mais sous bracelet électronique. La décision est loin d’être exemplaire face aux crimes de terrorisme». Un sentiment partagé par Virginie Le Roy l’avocate de la famille de Samuel Paty, sortie extrêmement émue de l’audience, quasiment au bord des larmes : «C’est une décision difficile pour la famille ; il y a de la déception, de la colère, de l’incompréhension. Les peines ne sont pas à la hauteur des faits, du drame. C’est un mauvais signal pour la famille, pour les élèves et pour les enseignants. Je suis émue pour cette famille : un homme décapité dans une rue ce n’est pas rien. Or, il n’y a pas eu ce sursaut unanime de l’institution judiciaire. Certains de ces mineurs ne semblaient pas comprendre».

Me Louis Cailliez qui s’exprimait pour Mickaëlle Paty, a regretté «la peine à l’encontre de Z., l’instigatrice. A l’audience, Mickaëlle Paty a lancé un appel solennel pour la rejoindre dans son combat pour la laïcité. J’espère qu’ils auront le courage de l’accompagner à l’heure où un mineur musulman sur trois ne condamne pas totalement le meurtre d’Arras, et qu’un professeur sur deux s’autocensure lors de ses cours sur la laïcité».

De leur côté, les avocats de la défense se sont tous félicités du verdict, affirmant pour certains le soulagement des mineurs qu’ils défendaient d’avoir passé cette épreuve judiciaire. Tous les prévenus étaient poursuivis pour association de malfaiteurs en vue de commettre des violences avec trois circonstances aggravantes du fait qu’un enseignant a été visé, que les faits se sont déroulés aux abords d’un établissement scolaire aux heures de sortie et d’entrée, le tout avec préméditation ou guet-apens. Pour cette infraction, la peine encourue était de 2 ans et demi, l’excuse de minorité amendant en effet les peines de la moitié. Les cinq prévenus étaient accusés d’avoir, contre rémunération, décrit Samuel Paty au terroriste afin qu’il puisse l’identifier, d’avoir fait le guet aux abords du collège et d’avoir aidé Abdoullakh Anzorov à se cacher, en attendant le professeur d’histoire.

«Atteinte à l’ordre public gravissime»

Le jeune âge des prévenus, – entre 13 et 14 ans au moment des faits – et le doute de la conscience qu’ils pouvaient avoir de la très grave infraction qui allait être commise ont primé pour le tribunal. Tous ces mineurs avaient déjà fait l’objet d’une prise en charge éducative, depuis le 16 octobre 2020. La plupart avaient aussi fait l’objet de placements, parfois éloignés en province. À l’époque des faits, le juge des enfants avait pris cette décision en raison de «l’atteinte à l’ordre public gravissime» et la nécessité de «préserver les investigations»- notamment en interdisant les contacts avec leurs anciens camarades de classe. Il était également inconcevable que les professeurs de cet établissement soient à nouveau en contact avec ces élèves. Pour les protéger d’éventuelles vengeances, certains prévenus ont même été contraints de changer d’identité.

Enfin, les professeurs du collège du Bois-d’Aulne qui s’étaient portés partie civile, ont été jugés majoritairement irrecevables sauf certains d’entre eux vis-à-vis de Z. dont ils étaient les enseignants. Le parquet antiterroriste avait estimé qu’ils n’étaient pas victimes, même par ricochet. Ils auront néanmoins assisté à la totalité des débats, cette question ayant été jointe au fond. Dans un an environ, un deuxième procès devrait juger les adultes impliqués dans l’assassinat de Samuel Paty dont Brahim Chnina, le père de la jeune fille jugée cet automne.

 

Source Le Figaro